Un traîne-savatte à la coule
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La première édition (à reliure souple) date de 1970. L'exemplaire que j'ai en main est la ré-édition de 1983, cartonnée qui contient l'histoire principale I.T.O. (qui ne faisait que trente pages) de Géri et Van Hamme à laquelle s'ajoutent deux récits plus courts datant de 1975, Le plastique glouton et Romance pour Magellan (ce dernier n'ayant paru que dans l'édition belge du journal Tintin), cette fois écrits par Duchâteau.
Catalogué comme tome 4 dans la seconde édition, I.T.O. est en réalité le premier volume des aventures de Magellan, pré-publié dans le journal Tintin en 1969 (et alors signé Ghion-Vanam, Ghion étant le véritable nom de Géri). Van Hamme, encore débutant dans la BD* ne signera que les deux premiers tomes, laissant la place à Duchâteau. Il y en aura cinq dans la première série souple de la collection Vedette du Lombard des années 70 et huit dans la deuxième volée des années 80. Entre-temps, Géri, atteint de paralysie, du cesser son activité. Il existe aussi quelques hors-séries à tirage très limité publiés ces dernières années par les éditions du Taupinambour et de La Vache qui Médite (!?).
Mr Magellan a laissé bien moins de traces que Ric Hochet, la série la plus célèbre scénarisée par André-Paul Duchâteau** et c'est injuste. Jeune lecteur du journal Tintin, les aventures du journaliste sosie de Clo-Clo et le dessin de Tibet me paraissaient déjà désuets, trop calqués sur Gil Jourdan. Magellan était plus dans l'air du temps. Un agent spécial employé de l'I.T.O. (International Testing Organisation), obscure officine chargée de repérer les avancées technologiques. Pour la dégaine de son héros, Géri s'est visiblement inspiré de Dean Martin. Magellan est un play-boy très cool à grosse lunettes sixties, bon vivant et aux goûts luxueux (il fume constamment un gros cigare et se déplace en Rolls). Ce mélange de John Steed, de Brett Sinclair, de Napoléon Solo et du détective Flint joué par James Coburn a une passion originale pour la danse classique, qu'il pratique à ses heures perdues. Dans les bagarres, plutôt que de sortir un flingue ou de boxer, il élimine ses adversaires avec des entrechats et des jetés !
Ingénieur électronicien (ce qui fait de lui le pendant masculin de Yoko Tsuno, créée la même année par un autre ancien assistant d'Hergé, Roger Leloup), son appartement ultra-moderne est entièrement truffé de gadgets domotiques avant l'heure qu'il déclenche avec une batterie de boutons. La bande dessinée des années pop s'est toujours régalée en empruntant les décors, le design et accessoires hi-tech de cette époque si créative.
C'est dans ce premier tome que Magellan rencontre celle qui l'assistera dans toutes ses aventures, la jolie rouquine Capella, intrépide antiquaire qui encombre le loft de son ami de bibelots et est dotée d'une force peu commune. Son jeu favori : déchirer un annuaire de ses mains ! Mais, à la différence d'Obélix ou de Superman, on ignore d'où lui viennent ces facultés. C'est le plus souvent elle qui sort Magellan du pétrin dans lequel le jettent son inaltérable détachement et son faible pour la gent féminine. A partir de 1977, les aventures paraîtront sous le titre de Mr Magellan et Capella. L'autre personnage récurrent qui apparaît ici est Casimir Bodu (au nom et au physique hergéens rappelant Isidore Boullu, le marbrier des Bijoux de la Castafiore ?), vieillard chenu qui prétend descendre de la première génération d'humains apparus sur Terre qui se sont exilés dans la galaxie d'Andromède (ben voyons !) et dont le but est de stopper tous les progrès techniques qui selon eux, re-mèneront la Terre à sa perte. Comme on le voit, Van Hamme n'avait peur de rien et cette première aventure est sous le double signe du farfelu et de la désinvolture.
Le récit court Le plastique glouton est tout à fait dans l'esprit des Chapeau Melon & Bottes de Cuir avec savant fou et invention abracadabrantesque. Romance pour Magellan est moins mémorable (même le dessin semble bâclé) tout en copiant encore plus le style de la fameuse série britannique puisque Magellan est remplacé par un clône.
Soyons francs, Géri (qui fut un des nombreux assistants d'Hergé) n'est pas un cador*** et Mr Magellan aurait peut-être marqué davantage les mémoires si on l'avait confié à quelqu'un comme Eddy Paape, par exemple. Il n'empêche que je ne loupais pas une page quand la série paraissait dans Tintin et que j'ai retrouvé le même plaisir naïf aujourd'hui. Mr Magellan est une série mineure dans l'histoire de la bd franco-belge mais vaut mieux que nombre d'autres qui ont fait et continuent de faire un carton (de Chick Bill à l'Agent 212, l'éventail est large). Autant dire qu'une ré-édition serait bien venue, si possible en améliorant la qualité d'impression (par rapport à aujourd'hui, on appréciera les progrès effectués). Pendant que j'y suis, ce serait plus que sympa de ré-éditer quelques autres séries Tintin de la même époque comme Taka Takata de Jo-el Azara et Max l'explorateur de Bara.
(*) Avant Mr Magellan, il avait conçu le scénario d'Epoxy pour Paul Cuvelier et quelques gags pour Gaston Lagaffe et Modeste et Pompon.
(**) Aussi incroyable que cela paraisse, Ric Hochet existe toujours et en est à son 76ème tome, battant le record de Michel Vaillant et de Lucky Luke !
(***) Mais on lui doit aussi le Skblllz, une des plus sympathiques anomalies animalières de la bd franco-belge avec le Marsupilami et le Flagada : une espèce de chien hirsute à gros nez (on dirait qu'il est passé dans une machine à laver), tout bleu et qui pond sans arrêt des oeufs ! Des gags en une planche publiées dans le journal Tintin et dont les aventures burlesques furent réunies en album chez Pepperland en 1981.
Mr Magellan, Tome 4 : I.T.O., de Géri, Jean Van Hamme & André-Paul Duchâteau
Le Lombard
ISBN 280363969 / 9782803603961
~10 €
Présentation de l'éditeur :
Mr. MAGELLAN, féru de danse classique et fonctionnaire à l'International Testing Organisation, mènerait sans doute une vie bien monotone si l'acide CAPELLA ne se faisait une joie de lui pimenter l'existence...
Liens :
"Mr Magellan" dans les pages de l'édition française du journal Tintin