Une flapper bien flappie

Publié le par lamiri

Les frères Dave et Max Fleischer ont été parmi les plus grands noms de l'âge d'or du cinéma d'animation américain. A l'instar des frères Lumière, ils furent également des précurseurs et des inventeurs de génie. Max mettra par exemple au point le procédé de la rotoscopie pour calquer les mouvements d'un être de chair et d'os sur un personnage animé, une technique toujours utilisée près d'un siècle plus tard. Parmi les nombreux personnages nés de leur imagination, Betty Boop fut l'un des plus populaires, vite démultipliée en produits dérivés* de toute sorte ainsi qu'en bandes dessinées publiées dans la presse quotidienne et du dimanche. Ce sont ces dernières, en couleurs que propose ce recueil.

J'ignore si l'expression femme-enfant a son équivalent en anglo-américain auquel cas les Fleischer l'auraient prise au pied de la lettre. La tête de la Boop-Boop-A-Doop Girl avait les proportions de celle d'un poupon, représentant un tiers de l'ensemble du corps et dénuée de cou. Un visage plus canin qu'humain avec au début des oreilles pendantes de teckel, remplacées ensuite par des boucles d'oreille.



Une présentation soignée comme une papillote de Noël avec une couverture brillante et molletonnée qui une fois le livre ouvert fait office de cache-misère. Les gags en une page de Betty Boop sont indigents, répétitifs et atrocement désuets. Il n'est même pas certain qu'ils divertirent les lecteurs de l'époque si l'on en juge par leur courte durée de parution. Ils sont tous signés by Max Fleischer selon le principe qui sera aussi utilisé par Disney. Car, bien entendu - et ça saute aux yeux - la tâche fut confiée à un dessinateur de l'ombre (ghost artist). Un certain David Francis "Bud" Counihan qui ne fit rien pour sauver de la médiocrité cette petite flapper capricieuse avec son éternelle jarretelle autour de la cuisse gauche. Betty Boop est une starlette nunuche très égocentrique, qui passe son temps à préparer ses rôles et à convoquer ses avocats. Elle est courtisée par des gravures de mode gominées qui se nomment tous Van ou von Machin, a la garde d'un petit frère insupportable et est affligée d'une tante qui ressemble plus à Popeye qu'à Olive. Quand on pense que la Betty originelle, celle des dessins animés était, du moins au départ, inspirée de Mae West... Rétro pour rétro, choisissez plutôt les aventures du Bicot de Martin Branner (en v.o. Winnie Winkle) qui était lui aussi accompagné d'une grande soeur aguicheuse et pomponnée. Et revoyez les dessins animés des Fleischer, surtout ceux des débuts.

Un album à ne lire qu'avec une solide dose d'indulgence et dont le seul véritable intérêt tient dans la passionnante présentation d'Alain David. Dans une moindre mesure, il y aussi les quelques planches mettant en scène Koko le clown, le premier personnage créé par Dave et Max pour leur série animée Out of the inkwell. Koko reprenait d'une certaine façon l'astuce de la planche en boucle magnifiée par le Little Nemo de Winsor McCay puisqu'à chaque première case, le petit clown émerge d'une bouteille d'encre pour y replonger en bas de page (son visage poudré toujours immaculé alors que les autres personnages à qui il arrive de tomber dans l'encrier en ressortent noircis). Mais là aussi, on est très loin de la version pour l'écran.

Si vous pouvez encore mettre la main sur un exemplaire, la trop brève revue du film d'animation Fantasmagorie (publiée par les éditions Artefact) avait traduit en 1980 l'essai très documenté du graphiste Leslie Cabarga sous le titre Betty Boop, Popeye et Cie : L'histoire des Fleischer. Abordant le cas de la version papier de Betty Boop, Cabarga se contenta d'en dire l'essentiel : "Cette bande dessinée était rarement amusante (...). Betty avait toujours un air guindé et ne changeait presque pas de position d'une image à une autre."

Les frères Fleischer quittèrent leurs studios d'animation en 1942. Mais bientôt, Richard, le fils de Max prendra le relai de la tradition créative familiale en devenant l'un des meilleurs cinéastes de sa génération. Si vous aimez le cinoche sec, inventif et velu, plusieurs de ses premiers films ont été récemment exhumés en DVD.

(
*) Le site officiel n'est lui-même qu'une vitrine d'accessoires portant la griffe Betty Boop.

Betty Boop, de Max Fleischer
Vents d'Ouest
ISBN 2749305209 / 9782749305202
18,00 €



Présentation de l'éditeur :

L'icône mondiale née dans les années 30 est de retour !

Elle a été dans les années 30 la première femme ouvertement sensuelle à franchir les barrières de la pudibonderie ambiante en étant publiée en strips quotidiens dans de grands journaux américains. Elle a connu une carrière internationale dans le dessin animé. Elle est une icône mondiale, la seule à pouvoir chanter le «
Poo-poo-pee-doo» popularisé par Marylin dans « I wanna be loved by you » sans que personne ne songe à le lui reprocher ! Elle se nomme Betty Boop. Et peut-être, à force de la voir déclinée sur de multiples supports, avait-on oublié l'essence-même de son identité : la bande dessinée.

Avec cette intégrale des planches dominicales de Betty Boop, c'est à une redécouverte d'un personnage emblématique du dessin animé, du neuvième art, et de l'Amérique que vous invitent les éditions Vents d’Ouest. Au gré d'aventures qui n'ont rien perdu de leur fraîcheur, de leur verve, ni de leur beauté graphique.



Liens :

Présentation de l'album avec quelques planches

La filmographie détaillée des productions du studio Fleischer. "Out of the inkwell", "Betty Boop", "Popeye", "Superman"... (en anglais)


Publié dans Critiques BD

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