Mon nom est Siméon Nevzorof

Publié le par lamiri

(première publication sur Zazieweb en décembre 2005)

Il y a eu un débat sur Zazieweb à propos des bandes dessinées littéraires. Ibicus en est l'exemple parfait. Les éditions Vents d'Ouest ont regroupé les quatre tomes en un seul dans leur collection Integra. Le format réduit passe très bien (bien que l'on puisse préférer admirer les planches magnifiques de Rabaté dans les grands albums originaux) et donne encore plus la sensation de plonger dans de la littérature du 9ème type.

Ibicus integrale BIG

Les aventures de cet arriviste un peu pleutre qui retombe toujours sur ses pattes non sans se prendre les pieds dans le tapis de l'histoire très agitée de la Russie révolutionnaire se dévore... comme un roman classique. Il y a du Don Quichotte, du Bardamu et du Rastignac chez ce Siméon Nevzorof qui sait si bien changer d'identité en bon caméléon opportuniste guidé par une foi indéboulonnable en sa chance bien qu'il se retrouve plus qu'à son tour le nez dans le caniveau ou dans la poudre. De la lâcheté et de la naïveté aussi. Pas franchement un type fréquentable et malgré tout, à force d'être ballotté, il émeut. Le mérite en revient certainement à Alexis Tolstoï
* mais aussi au talent monstrueux de Pascal Rabaté, que j'imagine nourri aux tableaux de Münch et d'Ensor comme à ces films de l'entre-deux-guerres où les chefs opérateurs expérimentaient toutes sortes de flous et de déformations chez Fritz Lang, Murnau, Marcel Lherbier ou Jean Grémillon pour animer des scènes de cauchemars éveillés.

Il y a tellement d'albums de 46 pages incolores et sans saveur... Ibicus et ses 530 pages qui vous scotchent a définitivement sa place dans une bibliothèque idéale. Citez-moi beaucoup d'oeuvres graphiques qui peuvent conduire à faire aimer la littérature comme amener à la bande dessinée de grands lecteurs de textes qui auparavant dédaignaient ce genre ?

(*) Alexis Nikolaïevitch Tolstoï (1883-1945). A ne pas confondre avec Léon Tolstoï (1828-1910) dont il n'était qu'un lointain parent. Ni avec son cousin Alexis Konstantinovitch Tolstoï, également écrivain. Bien moins renommé que le premier, on doit néanmoins aussi à Alexis N. Tolstoï le roman Aelita qui sera porté à l'écran en 1924 par Yakov Protazanov et est une des premières grandes oeuvres de science fiction de l'histoire du cinéma.




Ibicus - L'intégrale, de Pascal Rabaté (d'après l'oeuvre d'Alexis Tolstoï)
Vents d'Ouest
ISBN 2749303427 / 9782749303420
25 €





Présentation de l'éditeur :

Ibicus l'Intégrale, une occasion unique de se replonger dans la grande série expressionniste de Rabaté.

Siméon Nevzorov croupit dans une vie d'ennui peuplée de rêves de gloire et de fortune. Il ne s'offre pas le luxe de ses envies, manquant totalement de volonté et de courage. Sa route croise un jour celle d'une vieille tsigane. Elle lui révèle qu'il est né sous le signe du crâne qui parle : l'ibicus, et lui prédit : «
Quand le monde s'écroulera dans le feu et le sang (...), tu vivras des aventures extraordinaires, mais tu seras riche ! » Aussi invraisemblable qu'il y paraît, le petit cloporte sans envergure va profiter sans vergogne des affres chaotiques qui ébranlent le monde et accomplir sa prophétie. Une adaptation de génie du roman d'Alexis Tolstoï, une fable noire sur la condition humaine.


L'auteur :

Après de nombreux petits boulots, Pascal Rabaté choisit la BD. Son premier album, Les Amants de Lucie, paraît en 89 chez Futuropolis. Après Exode et Vacances, vacances, réédités chez Vents d'Ouest en 99 sous le titre Premières Cartouches, il publie en 91 A Table chez Week-end Doux et Signé Raoul chez Rackham. Toujours chez Vents d'Ouest, il a signé Les Pieds dedans (92), Ex Voto (94), Un Ver dans le fruit (97) et surtout Ibicus, qui lui offre une véritable consécration tant publique que critique. Il confie parfois ses scénarios à d'autres dessinateurs, comme ce fut le cas en 2000 avec Les Yeux dans le bouillon réalisé par Virginie Broquet pour Casterman et Tartine de courant d'air avec Bibeur Lu pour Vents d'Ouest. Dans Ibicus, Rabaté exploite à merveille ses techniques de lavis, jouant en maître sur les aplats noirs et les jeux de lumière, et donne à l'oeuvre d'Alexis Tolstoï, dont Ibicus est une adaptation, une nouvelle dimension onirique et fantasmagorique. Pascal Rabaté est un très grand nom de la bande dessinée, et Ibicus un chef-d'oeuvre.



Liens :

Présentation de l'album (avec des liens vers les premières éditions séparées)

Interview de Rabaté en octobre 2006, au moment de la sortie des Petits ruisseaux chez Futuropolis



Publié dans Critiques BD

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article