Vive la bédé libre !

Publié le par lamiri

(première publication sur Zazieweb en novembre 2007)

Après les conquêtes américaines, voici narrée par le général de Gaulle lui-même (vous savez, le grand monsieur imposant que Jean Bedel Bokassa appelait affectueusement papa, ce qui indisposait légèrement le grand monsieur imposant) la naissance de l'empire colonial français en Afrique, en Asie et en Océanie.
Tout commence par une enième rouste prise de la part des Anglais, en 1805 à Trafalgar. Après la chute du petit caporal auto-proclamé Empereur, les monarques suivants veulent regonfler la fibre patriotique et vont donc chercher aventures militaires et accessoirement fortune au Sud et à l'Extrême-Est. Ce sera d'abord la vaste terre d'Algérie et ses richesses agricoles (on ne s'intéressait pas encore aux hydrocarbures) puis la Tunisie et le Maroc et enfin l'Afrique Noire. Un colossal gâteau à se partager lors de la conférence de Berlin de 1884 avec les inévitables meilleurs ennemis Anglais, plus les Belges, les Portugais, les Allemands, les Italiens...
Dans les îles du Pacifique, hop ! Par ici la Polynésie et la Nouvelle Calédonie !
En Orient, une large main civilisatrice aux veines bleues, la paume blanche mais aussi parfois teintée de rouge se posa sur les bords de l'Inde et surtout sur ce qui s'appellera bientôt l'Indochine.

Les deux piliers des éditions Flblb, Grégory Jarry et son complice Otto T. ne font pas de petits dans le dos de l'histoire, les officiels s'en sont amplement chargé auparavant. Ils ont pris leur carte du parti d'en rire à la façon d'un Desproges, le texte informé et volontairement mauvais esprit de l'un renvoyant la balle aux petits dessins satiriques et minimalistes de l'autre. Où l'on apprend que durant les guerres menées par la France révolutionnaire, l'Algérie (encore ottomane) avait fourni à crédit du blé pour nos armées, crédit qui ne fut jamais remboursé. Par contre, Charles IX puis Louis-Philippe envoyèrent trente ans plus tard des troupes prendre les grandes villes côtières. Rappel aussi qu'une partie importante de ces premiers colons étaient des opposants politiques envoyés se faire oublier loin de la mère patrie comme les Communards en Algérie puis en Nouvelle Calédonie, opposants qui eurent parfois une fâcheuse tendance à se comporter avec les populations indigènes comme ceux qui les avaient bannis (un retournement qui se rencontra également chez d'autres pays colonisateurs). Et puis la notion assez ambiguë et hypocrite des protectorats, la vieille technique de la division pour régner et quelques exactions aussi odieuses que gratuites comme le massacre de Birni N'Konni perpétré par Chanoine et Voulet, deux officiers fous qui se voyaient rois africains...

Petite Histoire des colonies françaises 2 BIG

Une petite leçon d'histoire non-officielle où l'humour grinçant est volontairement choisi pour faire réfléchir. A titre personnel, je reste marqué par une rencontre faite il y a une vingtaine d'années dans un petit village de brousse de l'ancienne A.O.F. (l'Afrique Occidentale Française). Le chef du village, un vieil homme auquel la France fit l'insigne honneur de l'enrôler sous le drapeau de la liberté, de l'égalité et de la fraternité m'expliqua qu'il attendait toujours sa pension d'ancien combattant. J'y ai repensé le jour où Chirac fit son numéro de faux-cul après avoir vu le film Indigènes de Rachid Bouchareb en se déclarant surpris et bouleversé que de tels cas soient si nombreux parmi les vétérans des anciennes colonies.

Il y a un entretien instructif avec le scénariste Grégory Jarry dans le numéro de décembre 2007 du magazine BoDoï. Il se déclare peu optimiste quant aux chances de voir bâtir un jour un musée de la colonisation. Je crains également qu'il n'y en ait pas avant que la dixième génération des descendants de Jacques Foccart n'aient plus de dents...

Hasard de la programmation : j'avais à peine fini de lire et de commenter cet album que France 5 rediffusait Blancs de mémoire, un documentaire sur le tournage de Capitaine des ténèbres, le téléfilm réalisé en 2004 par Serge Moati sur l'épopée sanglante de Chanoine et Voulet en Afrique sub-saharienne (Moati en a ensuite tiré un livre éponyme publié chez Fayard). Cet épisode sinistre inspira Joseph Conrad pour Au coeur des ténèbres (roman qui servira de base au Apocalypse Now de Coppola). Un autre grand écrivain s'est inspiré de faits proches (mais moins sanglants) qui se déroulèrent au 19ème siècle en Afghanistan et au Punjab : Rudyard Kipling avec L'homme qui voulu être roi.

Les éditions Flblb (Fleubleubeu pour les intimes et les dichlégchiques) viennent de publier le tome 3 de cette indispensable et toujours instructive vision des plus belles heures de notre sémillant pays jamais en retard pour éclairer le monde de ses lumières avec la parution en novembre de Petite histoire des colonies françaises : la décolonisation.




Petite histoire des colonies françaises, Tome 2 : L'Empire,
de Grégory Jarry & Otto T.
Flblb
ISBN 2914553633 / 9782914553636
13 €



Présentation de l'éditeur :

Dans le premier tome de
Petite histoire des colonies françaises, (récompensé par le prix Tournesol au festival d'Angoulême 2007), Grégory Jarry et Otto T. dépoussiéraient les livres d'histoire pour nous raconter les débuts de l'aventure coloniale française en Amérique, de la découverte du Canada au XVIème siècle jusqu'à l'indépendance d'Haïti en 1804.

Le deuxième tome s'attaque avec la même verve à la constitution de l'Empire colonial français en Afrique et en Asie, sur une période s'étendant de la conquête de l'Algérie en 1830, jusqu'à la guerre de 14.

Une saga historique décalée, véridique, présentée par le Général de Gaulle.




Extraits :

Beaucoup d'autres se levèrent contre l'envahisseur français, tels la charismatique Lalla Fatma N'Soumer ou le Cheik Mohammed Mokrani. Jamais la France ne plia, préférant torturer les perroquets pour connaître l'emplacement des caches d'armes et fusiller les moutons qui avaient donné leur laine aux rebelles pour faire des pulls.

(...)

Poussé par la misère, un nombre considérable d'Espagnols, d'Italiens et de Maltais vint grossir les rangs de nos colons. En 1886, on comptait 219000 Français pour 211000 étrangers. En 1889, le gouvernement réagit et lança une vague de naturalisation. Les Duponti changèrent leur nom en Dupont, les Martino en Martin, et Mouloud Abdellatif devint Mouloud Abdellatouf.




Liens :

Présentation de l'album avec des extraits

Say Hello to Miss Cho, le blog-feuilleton du dessinateur Otto T.



Publié dans Critiques BD

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