10(000) années d'horreur

Publié le par lamiri

Au secours, les années 80 reviennent !
J'ai beau comprendre qu'il en est toujours ainsi et que chaque génération éprouve tous les vingt ans le besoin de se replonger dans les siens mais la nostalgie des années Reagan-Thatcher-Mitterand m'échappe. Aucune envie de revoir les premiers clips vidéo mal ficelés, les filles porter des vestes pied-de-poule avec un cintre dans le dos et des pendentifs d'oreille surdimensionnés en plastoc ou encore les mecs avec des futals chiraquiens ceinturés sous les côtes et chaussettes apparentes. Encore moins les mines hautaines de ceux qui jouaient les néo-dandies, car pour avoir l'air hype, il fallait tirer une tronche de petit marquis et d'executive woman qui met les poings sur la table. Ce qu'ils croyaient original et dans le vent était pompé sur les modes zazou et hollywoodienne des années 40.

La bande dessinée, qui ne se portait plus très bien à la fin des années 70 a connu un véritable boost, souvent lié aux mouvements punks puis new-wave/cold-wave grâce à la multiplication des fanzines puis le succès de magazines comme Métal Hurlant et (A suivre). La couverture de "Summer of the 80's" est signée de Serge Clerc, le meilleur représentant du cross-over rock & BD, lui qui fut le dessinateur-espion dans Métal où avec Dionnet et Manoeuvre (encore un qui est depuis complètement parti en saucisse) il narrait les biographies très libres des Clash, du Velvet, des Cramps ou de Blondie. Son graphisme à l'époque très branché a mal vieilli, mais il n'est pas le seul (cf Floc'h, Loustal, Ted Benoît, Ever Meulen ou ce gars dont on voyait partout les illustrations et qui a disparu dans la nature, Koechlin, le Folon des 80's...). Si je devais sauver des bédéastes et illustrateurs d'il y a trente ans, je mettrais évidemment le quatuor Moebius-Tardi-Bilal-Druillet (même si ils faisaient déjà figure d'anciens), Florence Cestac, Yves Chaland, Jean-Claude Denis, Elli Medeiros (oui, la jolie craquette qui gazouillait des trucs coquins à propos de son doigt et faisait les bandes-sons de films chicos parisiens avec son complice Jacno fut aussi une dessinatrice pleine de charme au style presque manga), les allumés du collectif destroy Bazooka et surtout Joost Swarte et Masse. J'ajouterai un bonhomme bien trop discret et donc honteusement méconnu, André Barbe qui n'appartenait à aucune école sinon celle de Rodin.




Cet album collectif démarre très fort avec un coup ironique dans le rétro en parodiant un personnage pourtant bien antérieur aux 80's, le sentencieux Oncle Paul qui racontait des vies édifiantes dans le journal Spirou. Emile Bravo (récent repreneur de... Spirou !) lui en fait dire de bien bonnes quand il évoque cette splendeur révolue : comment oublier Jeanne Mas, Patricia Kass, la Compagnie Créole, l'équipe de France de foot (car le ver était déjà dans le fruit et un Platoche sans brioche pubait pour des boissons sucrées à bulles)...

Ensuite, Serge Clerc se lance dans une suite de polaroïds allant de 1976 à 1984 avec les premiers fast-foods aux décors tout en chromes et miroirs. Il fait la réclame du dernier cri de la hi-tech, la platine "Longue Plainte" auto-lubrifiante et antiskating, évoque l'explosion des radios-libres et des magazines rock.

Le Luc d'un Jean-Claude Denis en petite forme n'aime pas l'air du temps, terrifié par Tchernobyl, Sulitzer, les émissions de tonification gymnique et autres berlusconneries.

C'est Nine Antico qui fait la remarque la plus juste en imaginant le voyage temporel d'une Alice repartant en arrière : les photos-souvenirs de cette époque paraissent toujours plus craignos que celles des décennies précédentes. Et elle conclut avec la même justesse en annonçant ce que les générations futures railleront des années 2000 que je qualifierai d'années 80 bis ou 2.0.

Drouin et Clavery allongent un traumatisé des 80's sur le divan. Conclusion du psy : "Les années 80 se sont mises à fabriquer du rêve pendant qu'on fabriquait de l'argent, les deux n'étant pas incompatibles. Finalement, rien n'a vraiment changé depuis."

Cattelain et Dabitch se chargent de l'interlude comique. Dans leur "Flash Rance", ils imaginent ce à quoi s'occupaient des têtes aujourd'hui bien trop télé-couronnées (BHL, Parisot, Poutine, Bayrou, Royal, Kouchner...) lors d'événements aussi majeurs que la chute du Mur ou la ré-élection triomphale de Reagan.

Beaucoup plus sérieux, Alfred et Chauvel décortiquent l'ultra-libéralisme, créature protéiforme échappée en 1976 du labo de Milton Friedman et qui résiste à tous les vaccins, y compris aux krachs boursiers. Leur récit s'intitule (et part de) "Ghost Town", tube visionnaire de l'excellent groupe de ska The Specials au plus dur de l'Angleterre de la Dame de Fer.

Gawronkiewicz et Janusz offrent un petit bijou d'humour noir tel qu'il se pratiquait avec l'énergie du désespoir dans les pays de l'Est. Ou comment une boucherie satisfait une file d'attente sans fin avec juste un cochon et un livre ! Les Polonais ont toujours eu la fibre matheuse et la solution (géniale) retourne à l'envers la fameuse fable arabe des grains de blé sur un échiquier.

Par contre, je n'ai rien capté au "Beautiful Ones" de Wimberly et Abel malgré un dessin et un climat bien (quatre)vintage. Mais il n'y a peut-être rien à comprendre d'autre que la grisaille et la froideur qui en ressortent.

L'indispensable Bouzard boucle en beauté (façon de parler) avec un ado qui se prend la mode 80's en pleine poire après avoir tenté de résister. 10 juin 1985 : achat d'un débardeur à mailles. Condoléances, mec.

Le plus désespérant, c'est que c'est souvent le pire qui est resté et à perduré. Des milliers de garçons et filles qui n'ont pas connu cette époque trouvent trop top d'écouter les scies d'Indochine et A-ha mais peu d'entre eux seront assez curieux pour fouiller dans le catalogue de 4AD ou entendront parler des Young Marble Giants, de Cabaret Voltaire, de Minimal Compact, de Tuxedomoon, des Sisters of Mercy, des B-52's ou d'Anne Clark. A la place, les majors leurs refilent une resucée des vieux rafiots Kid Creole, Tears For Fears, Duran Duran, Dire Straits (et je ne parle même pas des insubmersibles Madonna et Michael Jackson). Parfois, je comprends pourquoi Ian Curtis s'est pendu au printemps 1980... Le seul digne représentant des 80's qui a tracé sa route sans discontinuer et toujours vers le haut est mort cette année (Bashung). Le plus naze de tous se porte non seulement comme un charme mais repart comme en 40 sans que personne ne se bouche les oreilles au son cacophonique de sa batterie de casserolles (Tapie). Rien qu'en voyant le gouvernement actuel, presque exclusivement composé d'avocats d'affaires, je crois voir la photo d'anciens étudiants qui à peine sortis du lycée étaient déjà costard-cravattés avec attaché-case et stylo Mt Blanc bien en évidence à la pochette pour intégrer les bancs d'une fac de droit. Leurs héros se prénommaient déjà Bernard, Jean-Jacques, Patrick, Didier, Michel, Silvio... Bref, que des Régis. Au début du septennat de Mitterand, un jeune avocat-maire gaulliste tira la jambe de l'omniscient conseiller Attali afin qu'il l'introduise dans le saint des saints, avide de connaître la recette pour devenir à son tour Grand Mamamouchi. Il s'appelait Nico"bîîîîîîp...".
Vite ! Une cuvette !!



Summer of the 80's, collectif
Dargaud
ISBN 2205063529 / 9782205063523
14,50 €


Présentation de l'éditeur :

Et vous, où étiez-vous dans les années 80 ? Sur la piste de danse du Palace, haut lieu de la branchitude parisienne ? Face à votre miroir, en train de mimer le Moonwalk de Michael Jackson en socquettes blanches et veste à épaulettes ? Ou devant votre écran de télé vibrant face aux exploits de Platini et de son équipe pendant le Mundial de 1982 ?

Longtemps, les années 80 furent décriées pour leurs excès en tout genre. Mais aujourd’hui, elles reviennent très fort, ces années 80 et il était temps de leur rendre un hommage bien mérité. Cet été, du 7 juillet au 25 août, Arte leur consacre un programme spécial, intitulé Summer of the 80’s. Diffusé tous les mardis et jeudis à 20h45, ce medley de films et de concerts de légende devrait faire voyager dans le temps les nostalgiques de cette décennie… Et ils sont plus nombreux qu’ils ne veulent bien l’avouer ; il suffit de lire cet album collectif, véritable BO sur papier, pour prendre la mesure de son influence sur la culture contemporaine…



Liens :

Présentation de l'album avec des extraits


La célébration des années 80 par Arte



Publié dans Critiques BD

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