Du stop-Mao au go-Deng

Publié le par lamiri

Je n'ai pas lu le premier tome qui partait des débuts de la République Populaire de Chine. Celui-ci commence par la mort de Mao en 1976, date qui mettra fin aux dix années de plomb de la Révolution Culturelle. Li Kunwu raconte sans détours le choc provoqué parmi les centaines de millions de Chinois et en particulier chez les jeunes gens qui, comme lui récitaient par choeur et appliquaient fièrement les préceptes du Petit Livre Rouge... tandis que son père, ancien notable donc ennemi du peuple était parqué dans un camp de rééducation. Au centre de la Grande Histoire, Une vie chinoise est aussi le récit des destins parallèles du jeune Li et du vieux Li (pour reprendre le titre en page intérieure De Xiao Li à Lao Li). Un fils pur et dur qui ne va cesser de se conformer à la ligne centrale et dont le rêve ultime est d'obtenir sa carte du Parti... tout en désirant que ses parents soient fiers de lui. Même au fond de son baraquement, le père est resté fidèle à la pensée de Mao Zhuxi (le Président Mao) sans jamais exprimer la moindre révolte. Ce syndrome de Stockholm appliqué aux personnes soumises à un régime autoritaire a été formidablement décrit par un écrivain comme Arthur Koestler.

Doué pour le dessin, le jeune Li est immédiatement repéré pour réaliser des affiches caricaturales fustigeant les nouveaux monstres à haïr : la Bande des 4, dits aussi les 4 crabes dont fait partie Jiang Qing, la propre veuve de Mao. Bien commode pour ne surtout pas entacher l'image immaculée du leader décédé. Et on passe de Mao Zhuxi à Hua Zhuxi, alias Huo Guofeng, président intérimaire dont l'Histoire a sans doute minimisé le rôle. Car après une décennie d'arrêt totale et de régression catastrophique, 1977 marque le début d'une nouvelle ère politique avec le retour en grâce et au premier plan d'un ancien compagnon de route de Mao victime de la gigantesque purge : Deng Xiaoping. Le Petit Timonier va faire passer des formules restées célèbres
* pour galvaniser son peuple et le guider peu à peu vers le grand écart unique entre communisme étatique centraliste et libéralisme économique. Ceux qui ont des notions de chinois apprécieront que Li Kunwu et son co-scénariste P. Ôtié proposent à chaque fois le texte original en caractères et en pinyin pour les noms propres, les slogans, les poésies, les chansons et les organismes. Le mot d'ordre est devenu la modernisation et le petit Deng écartera peu à peu Hua Guofeng, qualifié de conservateur.

Une vie chinoise 2 BIG

Enfin libéré et réhabilité, le père de Li peut retourner chez lui et les retrouvailles avec son épouse donnent le plus émouvant passage de l'album. Une planche muette digne de Chaplin où une maigre cuisse de poulet passe d'un bol à l'autre. Le jeune Li, que ses bâtards noirs d'ancêtres empêchent d'entrer au Parti fait des pieds et des mains pour être remarqué, jusqu'à dénoncer son meilleur ami comme réactionnaire. Comme ça ne suffit pas, il s'engage dans une unité de production, une misérable ferme où il vivra seul à s'occuper d'un maigre bétail. Le petit soldat-fermier est à nouveau remarqué pour son coup de pinceau, tombe amoureux puis de haut. Li Kunwu traduit son désespoir en transformant les personnages en bovins où on se croirait presque dans les aventures de La vache de Johan De Moor et Stephen Desberg ! Il ne se fait pas de cadeau, à aucun moment. Capable de bassesses comme de courage, porté par son idéalisme naïf puis petit bonhomme ballotté, longtemps déphasé par le revirement accéléré de son pays.

Sur son lit de mort, le vieux Li implorera en dernières volontés de verser son dernier salaire au Parti alors que les premiers touristes étrangers débarquent en Chine.

Et c'est peut-être le plus surprenant (ou dramatique) de l'ensemble. A nos yeux, le récit de Li Kunwu est d'une telle franchise qu'il pourrait passer pour une critique des retournements incessants de la politique de son pays au mépris de sa population et du lavage de cerveau de ses diverses propagandes. Alors que l'auteur, qui n'a rien d'un dissident exilé est au contraire un artiste tout ce qu'il y a d'officiel
**. Bref, encore un des paradoxes d'une nation gigantesque dont on n'a pas fini de scruter les bouleversements, toujours dirigée par un Parti Communiste mais entrée en trombe dans le système économique de l'ancien ennemi de classe au point de devenir bientôt la seconde puissance mondiale derrière les Etats Unis et (sauf accident***) les dépasser d'ici une génération.

Suite et fin au troisième tome.

(*) Comme Buguan baimaoheimao daizhu laoshu jiu shi haomao (Peu importe que le chat soit blanc ou noir. S'il attrape les souris, c'est un bon chat) qui est sans doute la plus belle traduction du pragmatisme cynique, adaptable sous tous les régimes.

(**) Mais j'ignore si cette oeuvre est déjà - ou sera - publiée telle quelle en Chine...

(
***) Les média ont tendance à ne montrer que la face triomphante des mégapoles ultra-modernes de l'Est et du Sud et le niveau de vie occidental de ses habitants mais enquêtent plus rarement sur la Chine intérieure encore rurale où ça chauffe de plus en plus ainsi que sur le nouveau sous-prolétariat issu des campagnes qui fait la queue devant les usines et les fabriques, encadrés par des milices qui ramène au temps des Raisins de la colère de Steinbeck. Ecoutez la formidable série de reportages de Daniel Mermet et Giv Anquetil, La Chine, un éléphant qui fait du vélo réalisés en 2007 pour l'émission Là-bas si j'y suis sur France Inter.







Une vie chinoise, Tome 2 :  Le temps du Parti, de Li Kunwu & P. Ôtié
Kana
ISBN
2505007616 / 9782505007616
19,95 €


Présentation de l'éditeur :

1950. Mao Zedong est au pouvoir depuis un an. Dans les montagnes du Yunnan, les conditions de vie sont difficiles. Le Secrétaire Li, jeune cadre communiste enflammé, emmène la camarade Tao à la ville,
« faire la révolution ». Fruit de leur union, Xiao Li « petit Li » naît bientôt. À l'époque de Révolution triomphante, le petit garçon s'estime le messager du Président Mao. Arborant les couleurs du communisme et armé des citations du président, il fait régner la terreur autour de lui. Il est alors pris dans l'engrenage d'une folie collective indescriptible où chacun va dénoncer, casser, brûler.
Un manga tout à fait inédit car raconté de l'intérieur par un auteur chinois qui a vécu la vertigineuse ascension du Communisme de Mao Zedong. Cette autobiographie nous fait partager la destinée folle des Chinois enfantés par Mao Zedong dans les années 50, et parvenus aujourd'hui, de révolutions en contre-révolutions, aux rênes de la Chine moderne. C'est un voyage passionnant dans le temps, mêlant nostalgie et prise de conscience, respectant fidèlement les faits et les repères historiques via une approche quasiment clinique du sujet. À l'aide d'un graphisme déroutant, emprunté à la BD de propagande, on comprend enfin comment le politique s'inscrit dans le quotidien des 1,3 milliard de Chinois.


Tome 2 :

La Chine est en deuil ! Le grand timonier, Mao Zedong, est mort ! Désemparés, déboussolés, le peuple chinois est sous le choc. Que va devenir la révolution culturelle ? Alors que des jours sombres s’annoncent, un télégramme averti le peuple que la bande des 4 (Zhang Chunqiao, Wang Hongwen, Yao Wenyuan et Jiang Qing, épouse de Mao) , investigateur sous Mao de la révolution culturelle, est arrêtée ! Une ère nouvelle souffle sur la Chine. Le moment est venu pour Xiao Li d’entrer dans le parti…
« Un parti pour lequel il faut donner sa vie, un parti qui doit primer sur l’intérêt propre, sur la famille sur les amis » comme le dit si bien son père…


Les auteurs :

Li Kunwu est un des rares artistes chinois de sa génération à s'être, tout au long de sa carrière, exclusivement dédié au 9ème art et à en vivre. En 30 ans d'activité, plus d'une trentaine de ses ouvrages ont été édités en Chine, et il a été publié dans les magazines de BD chinois les plus emblématiques tels que
Lianhua Huabao, Humo Dashi, etc.
D'abord spécialisé dans la BD de propagande, il s'est ensuite orienté vers l'étude des minorités culturelles chinoises dont sa province, le Yunnan, est si riche. Il est membre du Parti communiste chinois et administrateur de l'Association des artistes du Yunnan et de l'Institut chinois d'étude du dessin de presse.

P. Ôtié, dont il s'agit du premier ouvrage de bande dessinée, a vécu en Extrême-Orient pendant plus d'une dizaine d'années.




Extrait :

Bienvenue à ce cours ! La plupart d'entre vous n'ont pas pu étudier à cause de la Révolution Culturelle ? Eh bien, ce cours est là pour vous aider à rattraper le temps perdu !

Deng Xiaoping a dit : "Peu importe que le chat soit blanc ou noir. S'il attrape les souris, c'est un bon chat" ! Eh bien, ce cours est là pour vous enseigner à attraper les souris...

Vous allez progresser, vous améliorer pour apporter votre pierre à l'édification de notre Chine que nous chérissons tant ! Le premier pas est celui de l'Ouverture de la Pensée : par exemple, savez-vous que Hong Kong est couvert de gratte-ciel, comme en Amérique ? Savez-vous aussi que... que le Japon, bien qu'il ait perdu la guerre, est sur le point de devenir un des pays les plus évolués au monde ?...

...Savez vous que... il y a déjà plus de 10 ans que l'homme a marché sur la Lune ?!!!!





Lien :

Présentation de la série


Publié dans Critiques manga

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