Tuff Gong, sa courte vie, sa longue descendance

Publié le par lamiri

Il s'est passé un événement relativement marquant en 2008 : pour la première fois en plus de trente ans, un Jamaïquain dépassa la popularité planétaire de Bob Marley. Il s'agit du sprinter Usain Bolt qui atomisa trois records du monde lors des Jeux de Pékin avec une incroyable décontraction et qui vient d'en remettre une double couche aux récents championnats du monde de Berlin. Une cool attitude qui depuis l'explosion reggae est une des images de marque des habitants de cette île des Caraïbes. Ce serait oublier que la Jamaïque est à la fois l'un des pays les plus démunis et les plus violents qui soient. Le petit Robert Nesta Marley, qui a passé son enfance dans une trench town et fut plus tard victime d'un attentat était bien placé pour le savoir.

Bob et ses potes ont ramé avant de connaître le succès que l'on sait et comme bien d'autres se sont fait copieusement arnaquer par des marlous du business musical. Le salut viendra du malin producteur Chris Blackwell qui surfa la phénoménale vague reggae née du film The harder they come*. Ce livre-documentaire illustré et choral (sur le même principe que The Beatles en bandes dessinées) évoque bien plus que la figure charismatique de Marley mais aussi l'histoire difficile de son île natale (martyrisée par une guerre de gangs politico-mafieux), du rastafarisme, de l'Ethiopie, des mouvements d'indépendance africains (avec les inévitables dictateurs qui utilisèrent l'image de Marley comme le fit Mobutu avec Mohammed Ali), des labels et studios d'enregistrement, des liens avec les vagues ska, skinheads et punk dans l'ancienne nation colonisatrice etc. Une vingtaine de dessinateurs aux styles aussi divers que complémentaires allant du noir et blanc de graveur d'Ammo au graphisme cartoon de Mathieu Beaulieu. Des noms confirmés (Efix, Simon Léturgie) ou moins, chacun s'en sort parfaitement pour poser une pièce du puzzle. Et puis il y a les textes malins de Stéphane Nappez qui en fait parfois un peu trop, emporté par sa verve généreuse et canaille (comme d'utiliser l'acronyme POTUS pour désigner le chef d'état américain) mais il sait accrocher le lecteur.



Parmi les grands moments, le résumé du mouvement rastafari et de ses avatars parfois fumeux par Efix, le One Love Piece Concert où Marley (tel plus tard Clinton avec Arafat et Rabin) fit serrer en public les mains des deux frères ennemis de Jamaïque, dirigeants des partis travaillistes et conservateurs. Et bien d'autres...

Marley avait quatre grandes passions. Dans le désordre : sa musique, le foot, les femmes et ses (nombreux) enfants nés d'une multitude de liaisons de plus ou moins courte durée allant de la très élégante Rita (une des fameuses I Threes) à une Miss Univers. Sanctifié, adulé, vénéré, Bob n'était pas un saint. Je ne me rappelais absolument plus du jour où sa mort fut annoncée, ni même à vrai dire de l'année. Elle était - si l'on peut dire - médiatiquement mal tombée en France. C'était le 11 mai 1981. Fauché à 36 ans par un cancer parti d'un... doigt de pied mal soigné. Un comble pour celui qui aimait tant taper dans le ballon et trépigner sur scène. Si je voulais imiter le style de Nappez, je dirais que l'autre ironie fut d'être confié aux soins d'un toubib new age qui injecta du THX à une étoile qui combattait les guerres (ce Jamaican Graffiti est un peu beaucoup tiré par les dreads).

Personnellement, j'ai aimé écouter Marley au début mais sans être un grand connaisseur du reggae, assez vite préféré d'autres groupes comme Inner Circle, Desmond Dekker & The Aces (et leur fabuleux The Israelites) ou les grands ancêtres que furent les Skatalites et Toots & The Maytals. Les radios ont un peu trop bombardé en boucle les grands tubes des Wailers pour que ça ne devienne pas lassant à la longue. De plus, toutes ces manies et tendances aux cultes et autres icônes me gonflent, que ce soit envers une personne, une oeuvre d'art, un simple objet de consommation ou les trois ensemble. Mais ce livre-album est une passionnante plongée dans l'histoire d'un mouvement musical et qui déborde ce simple cadre vu à travers celui qui restera son porte-étendard. Tuff Gong avait des goûts musicaux plus étendus qu'on pourrait l'imaginer puisqu'il surnomma Ziggy son fils David, en hommage au personnage lunaire et androgyne créé par Bowie. Il y a quand même un sacré grand écart entre le reggae et le glam-rock !

Les correcteurs ont laissé passer quelques petites coquilles mais sans plus de gravité que de traduire Concrete Jungle par jungle de briques... ou d'avoir mis que Marge interprète I shot the sheriff dans un épisode de la saison 7 des Simpsons alors qu'il apparaît à la onzième (eh oui, c'est ça la puissance intellectuelle, comme dirait George Abitbol).

L'album s'achève par une démarche assez originale puisque l'éditeur raconte l'évolution de l'illustration de couverture. Un travail de graphiste print que Petit à Petit a récemment décidé de développer de façon très pédagogique sur son blog.

Avis à la populaschtroumpf des amateurs de musiques et de petits miquets ! En octobre, les éditions Petit à Petit publieront sur les mêmes excellentes bases un Nirvana en bandes dessinées.


(
*) Le film de Perry Henzel de 1972 qui relança la carrière de Jimmy Cliff ressort en DVD en octobre, incluant plusieurs documentaires et entretiens.


Bob Marley en bandes dessinées,
de Gaet’s, Stéphane Nappez et un collectif d'auteurs
Petit à Petit
ISBN 2849491608 / 9782849491607
25 €


Présentation de l'éditeur :

Bob Marley est un mythe...cette BD lui rend un magnifique hommage.

Aucun artiste n’est sans doute aujourd’hui plus écouté que lui aux quatre coins du monde !

Des ghettos de Kingston au dernier concert à Pittsburg en 1980, vous revivrez par la bande dessinée l’extraordinaire épopée du mythique « lion » du rasta.
Son enfance, son île, sa pulsation rythmique, sa violence, son mysticisme.

A l’égal du Beatles en bandes dessinées, ce gros et beau pavé de plus de 240 pages offrira une approche rigoureuse, fine et sensible en associant avec subtilité biographie dessinée et biographie littéraire.



Liens :

Présentation de l'album avec des extraits

Le site officiel de Marley

Le blog du scénariste Gaet's

Publié dans Critiques BD

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